LE PENSEUR DE LA DYNAMIQUE ECONOMIQUE

Publié le par LA SAVOIE AVEC SEGOLENE ROYAL

Joseph-Alloïs Schumpeter


Capitalisme, Socialisme et Démocratie,

Paris, Payot, 1961, trad. G. Fain


SCHUMPETER: LE PENSEUR DE LA DYNAMIQUE ECONOMIQUE



*1883: naissance de J.A. Schumpeter à Triesch (Moravie-Empire d’Autriche-Hongrie).

Fils d’un industriel du textile, sa jeunesse se déroule parmi les élites d’une société où se concurrencent deux mondes: au sommet de la société officielle, une noblesse de cour qui détient les rênes de la société, tandis que de grands banquiers dominent la société civile.

*Schumpeter étudie le droit et l’ économie à l’ Université de Vienne de 1901 à 1906. Il suit les

cours de Von Wieser et de Böhm-Bawerk. Dès 1908, Schumpeter publie Nature et Contenu principal de la vie économique; il obtient en 1909 une chaire à l’université de Czernowitz

(actuellement en Ukraine). Puis en 1911, il est professeur à Graz jusqu’en 1913. Dès cette époque, l’Université de Columbia l’invite aux Etats- Unis (1913).

Il sait être proche de ses étudiants: de grands disciples vont apprécier son enseignement:

E.Schneider, Stackelberg, Stolper, Sweezy et Samuelson.

*Théoricien novateur, il a marqué l’analyse économique par l’importance donnée à la dynamique, à l’histoire et bien entendu par sa réinterprétation des cycles économiques en tenant compte du progrès technique et des entrepreneurs.

Historien de la pensée économique, il a rédigé une somme
des connaissances économiques de son époque, inégalée tant par son érudition que par sa vision toujours hérétique (Histoire de l’Analyse économique).

*Longtemps limitée, l’audience de Schumpeter n’a cessé de croître après 1975, lorsqu’une certaine déception s’instaura aux Etats-Unis et en Europe devant la stagflation et la crise économique.

Il devient alors habituel de renvoyer à la dynamique schumpeterienne de l’évolution
du capitalisme, même si celle-ci postule le caractère incontournable des fluctuations cycliques et même si Schumpeter était très pessimiste quant à la survie du capitalisme.

 


Plan de l'enchaînement de la théorie schumpéterienne dans Capitalisme, Socialisme et
Démocratie:

1)La vision schumpeterienne de la société et de l'économie capitalistes: une hétérodoxie féconde

2)Le capitalisme peut-il survivre? Malgré son efficience, un certain nombre de facteurs sociologiques et psychologiques hypothèquent sa survie à long terme.

3)Le socialisme comme issue possible: son fonctionnement est-il possible?

4)Le socialisme est-il compatible avec la démocratie?



I/ LA VISION SCHUMPETERIENNE DE LA SOCIETE ET DE L'ECONOMIE
 CAPITALISTE:

UNE
HETERODOXIE FECONDE


Le rôle de l'entrepreneur et la concurrence destructrice:

Pour Schumpeter, l'entrepreneur joue un rôle dynamique et révolutionnaire dans le développement du capitalisme. »

Le rôle de l’entrepreneur consiste à réformer ou à révolutionner la routine de production en exploitant une invention ou, plus généralement, une possibilité technique inédite

»(p186).L'entrepreneur est celui qui consacre son énergie et risque son argent pour produire et vendre autre chose autrement, comparé à ce que font les entreprises en place.

Ce processus, que
Schumpeter appelle la "concurrence destructrice" (et qu'il décrit comme une « guerre au couteau »), est générateur de "gaspillage social". Il contribue à déclasser des activités, des emplois et des machines et, en outre, s'accompagne fréquemment de dépenses inutiles: "

 

les frais de campagne de publicité, l'étouffement des nouvelles méthodes de production (achats de brevets pour ne pas les exploiter) et ainsi de suite."

(p117).

 


Le processus de destruction créatrice:


La concurrence destructrice empêche que le plein-emploi et qu'une production maximum
soient garantis à court terme. Mais cette concurrence destructrice est aussi une " destruction créatrice qui révolutionne incessamment de l'intérieur la structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs

"(p122). Ce n'est pas avec du vieux que le capitalisme fait du neuf , mais en éliminant le vieux, ce qui implique qu'il s'agisse d'un système à la fois progressiste et mal considéré (en terme d’efficacité sociale par exemple).

 

La concurrence monopolistique, condition de l'efficience économique:

Cependant cette marche en avant déstabilisatrice et chaotique ne peut prendre naissance que dans un monde où la concurrence parfaite n'existe pas. S'ils n'avaient l'espoir, en cas de succès, de toucher de très larges profits liés à leur position de quasi-monopole, comment les entrepreneurs prendraient-ils le moindre risque? Comment financeraient-ils les investissements nécessaires sans ces profits? "

L'introduction de nouvelles méthodes de production et de nouvelles marchandises est

difficilement concevable si, dès l'origine, les innovateurs doivent compter avec des conditions de concurrence parfaite

" (p150). Le capitalisme n'est efficace qu'en raison des libertés qu'il prend à l'égard du modèle de concurrence traditionnelle, en particulier à l' égard des prix. C'est cette liberté qui lui permet de porter la lutte sur le terrain de la qualité, de la nouveauté ou des procédés de production, tous ces domaines où s'exerce le changement incessant impulsé par la dynamique du capitalisme. Mais c'est elle aussi qui "crée une pression virtuelle [qui] impose un comportement très "main invisible", mais par des règles que l'analyse économique orthodoxe condamne pour "inefficacité".


Le rôle des entreprises géantes:


Comment réduire la concurrence par les prix et comment réduire les risques qu'implique toute

innovation? La réponse de Schumpeter est sans ambiguïté: "Nous sommes obligés de reconnaître que l'entreprise géante est devenue le moteur le plus puissant du progrès économique et, en particulier, de l'expansion à long terme de la production totale"(p152). Non pas malgré l'existence de monopoles, mais à cause d'elle.



II/ LE CAPITALISME PEUT-IL SURVIVRE?

UN CERTAIN NOMBRE DE FACTEUR
HYPOTHEQUENT SA SURVIE:



Le capitalisme est condamné, malgré son succès:


Du seul point de vue économique, le capitalisme pourrait survivre.

Selon Schumpeter, il suffirait
  que le taux moyen d’accroissement annuel de la productivité enregistré de1870 à 1930 (2%) se perpétue pendant une cinquantaine d’années pour que toutes traces de misère et de pauvreté disparaissent.


Mais il faut tenir compte aussi des points de vue sociologiques et psychologiques, car
ils permettent de mettre en évidence des symptômes de sclérose du capitalisme.


Pour Schumpeter
l’échec du capitalisme ne sera pas un échec économique, ce régime ne sombrera pas à cause d’une crise finale mais au contraire à cause de son succès même.

 
«
Le succès même du capitalisme mine les institutions sociales et crée inévitablement des conditions dans lesquelles il ne lui sera pas possible de survivre


Le symptôme le plus flagrant de la sclérose du
capitalisme est la disparition progressive de la fonction d’entrepreneur.


On peut noter plusieurs
causes:

Le progrès devenu quasiment systématique, les conséquences de la concentration
économique sur les structures sociales, la perte d’adhésion des masses et des intellectuels au capitalisme.

 

la systématicité du progrès:

L’innovation, qui consiste à passer de l’invention à la réalisation, et qui est le propre de l’entrepreneur, tend à devenir une routine, planifiée et organisée, prise en charge par des salariés spécialisés. «

Au romantisme des aventures commerciales d’antan succède rapidement le

prosaïsme, en notre temps où il est devenu possible de soumettre à un calcul strict tant de choses qui naguère devaient être entrevues dans un éclair d’intuition géniale

»(p.187). Comme parallèlement les obstacles au changement tendent à se réduire au fur et à mesure que la population dans son ensemble s’habitue au changement, le rôle essentiel de la bourgeoisie , bousculer les routines, tend à s’effacer au profit d’une bureaucratisation de la vie économique.

Ce phénomène
consacre la montée en puissance de ce que Galbraith nomme la technostructure.

 

Les conséquences de la concentration économique:

En transformant les dirigeants en salariés et les propriétaires en actionnaires, la concentration économique « relâche l’emprise naguère si forte, du propriétaire sur son bien, d’abord en affaiblissant son droit légal et en limitant sa possibilité d’en jouir comme il l’entend; ensuite parce que le possesseur d’un titre abstrait perd la volonté de combattre économiquement, politiquement, physiquement pour « son » usine

»(p.199).
A l’acte volontaire du capitaliste d’antan mettant en jeu,
sa fortune, voire son honneur,

se substitue toujours davantage, la décision d’autofinancement prise
liée en recourant aux techniques d’études de marché et de contrôle budgétaire, fortifiées par
l’analyse de la conjoncture.


Par le biais de la concentration économique, le capitalisme est en train
de laisser démanteler progressivement, les cadres institutionnels qui en avaient assurer l’essor:
propriété et liberté des conventions.

Le nombre des individus ayant intérêt à défendre leurs droits de
propriété ou de commandement, diminue constamment.

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article