L'entrepreneur : acteur fondamental de l'évolution économique

Publié le par LA SAVOIE AVEC SEGOLENE ROYAL

L'entrepreneur : acteur fondamental de l'évolution économique [modifier]
Henry Ford, qui inspira Schumpeter pour sa description de l'entrepreneur-modèle
Henry Ford, qui inspira Schumpeter pour sa description de l'entrepreneur-modèle
Thomas Edison, un des entrepreneurs marquants de la fin du XIXe siècle
Thomas Edison, un des entrepreneurs marquants de la fin du XIXe siècle



Dans la conception de Schumpeter, l'
entrepreneur incarne le pari de l'innovation, thèse qu'il développa en particulier dans Théorie de l'évolution économique en 1913 ; son dynamisme assure la réussite de celle-ci.
L'entrepreneur, qu'il ne faut pas confondre avec le chef d'entreprise simple administrateur gestionnaire, ou avec le rentier-capitaliste propriétaire des moyens de production, est pour lui un véritable aventurier qui n'hésite pas à sortir des sentiers battus pour innover et entraîner les autres hommes à envisager autrement ce que la raison, la crainte ou l'habitude, leur dictent de faire. Il doit vaincre les résistances qui s'opposent à toute nouveauté risquant de remettre en cause le conformisme ambiant.


Par exemple,
Henry Ford n'est pas un entrepreneur lorsqu'en 1906 il devient un chef d'entreprise indépendant, mais il le devient en 1909 lorsque ses usines commencent à fabriquer la fameuse Ford T qui a fait évoluer l'automobile vers un statut d'objet de consommation courante au États-Unis.
Il est également entrepreneur en adoptant le système de la chaîne de montage, qui permet à la fois de baisser les coûts de production et d'accroître le débit de la production, ouvrant la porte à la production de masse.
Un autre exemple de véritable entrepreneur est
Alfred Krupp lorsqu'il concentre verticalement ses entreprises, et qu'il met en pratique le nouveau procédé de fabrication de l'acier imaginé par l'anglais Henry Bessemer (voir ici).



L'entrepreneur est certes motivé par la réalisation de bénéfices générés par les risques pris et la réussite. Mais, la conception du profit défendue par Schumpeter est originale : l'entrepreneur crée de la valeur, tout comme le salarié, et il est également motivé par un ensemble de mobiles irrationnels dont les principaux sont sans doute la volonté de puissance, le goût sportif de la victoire et de l'aventure, ou la joie simple de créer et de donner vie à des conceptions et des idées originales.
 Pour Schumpeter, le
profit est la sanction de l'initiative créatrice des risques pris par l'entrepreneur. Cette conception est contraire aux économistes classiques qui faisaient du profit la contrepartie des efforts productifs (capital et travail) de l'entrepreneur, alors qu'elle est plutôt du ressort du chef d'entreprise.

Cette conception est également contraire à celle,

marxiste, qui place l'origine du profit dans la confiscation de la plus-value, c'est-à-dire l'appropriation d'une partie du fruit du travail des salariés par le rentier-capitaliste.



Le profit est d'autant plus important et immédiat que l'entrepreneur est capable d'éliminer toute forme de
concurrence directe et immédiate.

L'innovation revient le plus souvent à détenir une position favorable dans sa branche, et sa diffusion permet l'obtention de droits commerciaux qui techniquement permettent à l'entrepreneur de disposer d'un
monopole.
Schumpeter considère les monopoles nés de l'innovation comme nécessaires à la bonne marche du capitalisme.
En situation de monopole, l'entrepreneur peut fixer un prix de vente supérieur à son
coût marginal, alors qu'ils seraient égaux en situation de concurrence pure et parfaite.
Il peut aussi diminuer son coût marginal grâce à la baisse des
coûts de production (par la hausse de la productivité) ou grâce aux économies d'échelles (augmentation de la production et de la taille des entreprises), et par là augmenter son profit.

C'est cette perspective qui rend les risques de l'innovation acceptables.


Schumpeter montre qu'un univers non atomistique (grand nombre d'entreprises) n'est pas forcément négatif pour le
consommateur car le monopole ne conduit pas toujours à la hausse des prix ou à la baisse de la production.
L'entreprise géante percevant un surprofit peut effectuer des investissements importants.
Par ailleurs, les innovations engendrent des effets de synergie au niveau de l'
économie.
Elles ont des
externalités positives en terme d'entraînement sur des secteurs économiques et de créations de nouvelles activités.
Elles apparaissent comme le fer de lance de la
croissance économique, justifiant alors l'existence de ces nouveaux acteurs contribuant à l'essor du capitalisme.
Pourtant, ces situations de monopole ne durent pas.
C'est le jeu de la concurrence qui les banalisent en faisant de la bataille pour le surprofit le moteur du progrès économique, mais aussi le facteur explicatif des
mouvements cycliques de l'économie.



Des fluctuations économiques au changement social : la destruction créatrice
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L'innovation est à la fois source de croissance et facteur de crise. C'est ce que Schumpeter résume par la formule « 
destruction créatrice ».

 Les crises ne sont pas de simples ratés de la machine économique ; elles sont inhérentes à la logique interne du capitalisme.
Elles sont salutaires et nécessaires au progrès économique.

Les innovations arrivent en grappes presque toujours au creux de la vague dépressionniste, parce que la crise bouscule les positions acquises et rend possible l'exploration d'idées nouvelles et ouvre des opportunités.
Au contraire, lors d'une période haute de non-crise, l'ordre économique et social bloque les initiatives, ce qui freine le flux des innovations et prépare le terrain pour une phase de récession, puis de crise.



Rythmes économiques et rythmes technologiques
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L'observation
empirique du système économique montre l'existence, à intervalles réguliers, de cycles économiques où des phases de prospérité alternent avec des phases de dépression.

Les économistes ont mis en évidence des mécanismes de régulation permettant au capitalisme de se développer au delà des crises, et ont cherché à rendre compte de l'existence de ces rythmes.

Schumpeter propose une interprétation des rythmes économiques à la lumière des rythmes ou vagues technologiques : les innovations sont à l'origine de cycles économiques. Il montre que le phénomène de grappes d'innovations est à l'origine à la fois de l'expansion comme de la récession qui lui succède.
Schumpeter a fourni une analyse cohérente des cycles longs dits de l'économiste soviétique
Nikolai Kondratieff.


En fait, Schumpeter s'est aussi inspiré des travaux de l'économiste français
Clément Juglar qui le premier avait mis en évidence dès 1856, les phénomènes cycliques sur une période d'une dizaine d'années,

alors que Kondratieff a surtout travaillé sur les causes de ces cycles longs : l'usure et le renouvellement des grandes infrastructures (chemins de fer, canaux, grands aménagements fonciers) dont la construction demande des investissements exceptionnels. Mais ces explications lui semblaient insuffisantes, préférant parler de vagues massives d'innovations groupées autour d'une découverte centrale, comme la machine à vapeur qui a ouvert la voie à la révolution industrielle entre
1790 et 1850 et le chemin de fer qui a dynamisé l'économie des années 1890 jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.





Le cycle économique
Le cycle économique



Schumpeter prétend que trois cycles se superposent et expliquent pour l'essentiel l'évolution de la conjoncture :


  • les cycles courts, ou
    cycles Kitchin, qui durent en moyenne 40 mois et s’expliquent selon lui par des variations de stocks,


  • les cycles moyens, dits
    cycles Juglar, qui durent, eux entre 6 et 11 ans,


  • les cycles longs, ou
    cycles Kondratieff qui s’étalent sur 40 à 60 ans. Ils seraient le résultat d’innovations majeures : machine à vapeur, automobiles.



Les monopoles mettent l'économie sur la voie du progrès mais ils ne sont que temporaires.
Les surprofits vont amener des entrepreneurs imitateurs à proposer des biens similaires ou des procédés voisins obligeant les entreprises en place à se différencier sans cesse ou à baisser leurs prix.
Ce phénomène d'imitation entraîne des innovations par grappes, c'est-à-dire une agrégation des innovations provoquées par la réussite de l'entrepreneur innovateur dont la position n'est que temporairement dominante.



L'application et la diffusion des innovations dépendent en amont de la propension de l'entrepreneur à prendre des risques, de la recherche dans l'émergence d'inventions susceptibles d'être exploitées, et du crédit.
Elles dépendent en aval de la propension des individus à recevoir l'innovation (pour les produits nouveaux), donc de leurs goûts et habitudes.
Ces conditions rendent compte de la réalisation, de la vitesse et de l'étendue de la diffusion. C'est donc le jeu innovation-imitation-monopole temporaire qui assure la
croissance économique et le bouleversement perpétuel des positions établies.



L'activité cyclique se déroule de la façon suivante : la phase d'expansion s'explique par les profits qui engendrent une hausse des investissements et de la demande, sous l'effet des grappes d'innovation.
Dans un premier temps, les crédits accordés vont provoquer une inflation des biens de production puis de
consommation.

Ensuite, la quantité additionnelle de biens engendre la déflation, accentuée par le remboursement des crédits annonçant la dépression.

Les possibilités de profit se raréfient, les faillites apparaissent.

Le phénomène d'imitation entraîne une saturation des marchés et une baisse de la rente monopolistique, donc une réduction de l'investissement suivie d'une baisse de l'activité.

La crise ne pourra être dépassée que par d'autres vagues d'innovations.
C'est le mécanisme décisif de l'activité cyclique qui implique un processus de
destruction créatrice.


L'expansion dépend de la diffusion et de l'assimilation des nouvelles conditions d'activité.
La dépression correspond à une période de disparition des structures productives en excès et des dettes, et à la gestation de nouvelles innovations. pour Schumpeter, la durée de chaque cycle correspond à l'importance des innovations et leurs effets d'entraînement.


Le
progrès technique n'est pas un flux continu et les cycles obéissent à des mécanismes autorégulateurs. Il se diffuse de manière périodique par vagues à partir de certains secteurs et certains lieux.



Progrès technique et changement social
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L'introduction du progrès technique a un effet sur les comportements et les habitudes des différents agents économiques.
L'entrepreneur innovateur entraîne de nombreux imitateurs, ce qui entraîne un changement radical de leur fonction de production (réorganisation du
travail).
Les innovations qui se diffusent dans l'
économie vont bouleverser les modes de consommation en répondant à des besoins non satisfaits, voire en en créant de nouveaux.
Les marchés se trouvent ainsi modifiés.
Le
progrès technique agit sur les structures de l'économie toute entière : la combinaison des facteurs de production (travail et capital) se modifie car il y a remplacement des structures anciennes par des nouvelles structures, et donc mobilité des moyens de production.

L'impact sur la nature des qualifications et l'
emploi, ainsi que sur leur répartition spatiale est considérable.
 Enfin, le progrès technique assure des positions dominantes et bouleverse l'état des rapports de force entre les pays au niveau international.


La fin du capitalisme
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Dans son oeuvre, Capitalisme, socialisme et démocratie,
Schumpeter semble rejoindre la conclusion de
Karl Marx sur l'inévitabilité de l'effondrement du capitalisme, mais pense qu'il sera remplacé par le socialisme pour des raisons non-marxiennes.

Il reconnaît que Marx a posé les bonnes questions mais que cela ne l'a pas empêché de se tromper lourdement sur les réponses.

Il déclarait ainsi que « Comme Keynes, il est possible d’admirer Marx, tout en considérant néanmoins que sa vision sociale est fausse et que chacune des préoccupations est fallacieuse[3] ».


Le capitalisme ne peut poursuivre sa marche en avant qu'à condition que perdure l'esprit des entrepreneurs qui seul fait sa force, or le capitalisme secrète la grande entreprise et cette dernière étouffe toute velleité d'imagination.
 
C'est le règne des cadres gestionnaires, des experts anonymes et des bureaucrates, plus soucieux de s'assurer une carrière stable, un revenu régulier et une position sociale avantageuse que de prendre des risques.



Citations
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  • "L’entrepreneur est un homme dont les horizons économiques sont vastes et dont l’énergie est suffisante pour bousculer la proportion à la routine et réaliser des innovations"
  • "Les entrepreneurs sont ceux qui mettent en pratique de nouvelles combinaisons de moyens de production"
  • "L’entrepreneur est celui qui nage contre le courant" Capitalisme, socialisme et démocratie


Œuvres majeures de Joseph Schumpeter
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  • Nature et contenu principal de la théorie économique (Das Wesen und der Hauptinhalt der theoretischen Nationalökonomie), 1908
  • Théorie de l’évolution économique (Theorie der wirtschaftlichen Entwicklung) – première édition, 1911 ; deuxième édition, 1926
  • Les cycles des affaires (Business Cycles: a Theoretical, Historical and Statistical Analysis of the Capitalist Process) 1939
  • Capitalisme, socialisme et démocratie (Capitalism, Socialism, and Democracy), 1942
  • Histoire de l'analyse économique (History of Economic Analysis), publié après sa mort en 1954

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